Les jizô 地蔵

Rédigé par Jérôme

          Pour vous expliquer ce qu’est un jizô, il me faut avant tout faire une petite introduction au Bouddhisme.

          Pour nous autres occidentaux, le Bouddhisme c’est avant tout les enseignements de la vie du Bouddha historique, Çâkyamuni (Shaka au Japon) qui vécut entre 558 et 478 avant notre ère. Et il y a un point essentiel qu’il me faut aborder pour que vous compreniez comment fonctionne le Bouddhisme en Asie, il faut savoir que dans le Bouddhisme il y a 6 sortes de conditions (ou destinées). Deux de ces conditions sont considérées comme bonnes, les êtres divins et les êtres humains. Trois sont franchement mauvaises : les êtres infernaux, les revenants condamnés au tourment de la soif et de la faim et enfin les animaux. Une, d’ailleurs très controversée, n’est ni bonne ni mauvaise, il s’agit des Ashura, sortes de titans ou demi-dieux belliqueux de la mythologie indienne. Dans le Bouddhisme on se réincarne donc sous une de ces formes durant un cycle qui ne finit que lorsque l’on a atteint l’Éveil (un long processus d’illumination pour se libérer de ce cycle des réincarnations). Ce qui veut dire que même si on est un être divin on est tout de même soumis à la réincarnation et la Loi de rétribution des actes qui détermine sous quelles conditions on se réincarnera. C’est là le point essentiel qu’il faut comprendre car c’est ce point qui permet au Bouddhisme de se mettre en position de force sur des dieux et des croyances déjà existantes et de les englober aux siennes en se superposant dessus. En effet même les Dieux sont soumis à cette Loi alors que le ou les Bouddhas sont au-dessus de cette condition car ils ont atteint l’Éveil. Ainsi même les Dieux ont la nécessité et le besoin d’écouter les prédications bouddhistes pour se « libérer » du cycle des réincarnations. Le Bouddhisme ne renie jamais les autres croyances mais se pose simplement dessus ainsi il n’y a aucune contradiction à ce que le Bouddhisme cohabite avec d’autres religions ou croyances.

          D’où vient cette croyance de la réincarnation et de cette Loi de rétributions des actes des vies antérieures me direz-vous ? Elle est issue de croyances déjà existantes, les croyances hindouïstes déjà bien implanté en Inde et qui ont servi de terreau fertile au Bouddhisme dont les croyances sont intrinsèquement liés à celles de l’Hindouïsme.

Dans le jardin du Sanzen-in à Ôhara près de Kyôto, des têtes et des corps de jizô surgissent des mousses et de la neige un peu partout

          On connaît donc Shaka, le Bouddha historique, mais la tradition du Bouddhisme Mahayana qui apparut au début de notre ère voulut conduire plus de personnes vers la délivrance et ainsi amener plus de gens au Bouddhisme. Elle conçut alors un grand nombre de figures de sauveurs, tant Bouddha que Boddhisatva (Bosatsu en japonais) et qu’on imaginera, non plus seulement se succédant à travers les âges mais aussi simultanément à travers les « 10 régions » (univers ou plan d’existence ou dimensions) de l’espace. Ces figures de sauveurs prêchent aux êtres et se dévouent pour le bien. Parmi ces êtres les plus populaires, on retrouvera au Japon le Bouddha Amida, le Bouddha Yakushi et les Bosatsu Kannon et Jizô.

          Ce système permit d’amener plus d’êtres vers la délivrance, de véhiculer plus d’êtres vers l’Éveil (d’où son nom de « Grand Véhicule », alors que l’ancienne tradition prendra à ce moment là le nom de « Petit Véhicule » il s’agit du Bouddhisme Theravada). C’est le Bouddhisme Mahayana, celui du Grand Véhicule, qui à travers les différentes formes qu’il va prendre au Tibet, en Chine et en Corée arrivera ensuite au Japon.

Des centaines de petites statuettes de jizô au Hasé-déra à Kamakura dans le département de Kanagawa.

          Qu’est ce qu’un Bosatsu ?

          Un Bosatsu (en japonais) est un Boddhisattava (en sanskrit), c’est une personne destinée à devenir un Bouddha, une personne destinée à se délivrer du cycle des réincarnations par l’Éveil mais qui choisit finalement de garder sa condition et de revenir encore et toujours dans le monde pour aider les autres à se libérer. Au Japon Kannon et Jizô, 2 Bosatsu sont encore plus populaires que les Bouddhas, ce sont les personnages bouddhistes dont on dénombre le plus de statues au Japon.

          Jizô est la forme bouddhique japonaise du boddhisattva Kshitigarbha. Il connaît une grande ferveur populaire depuis la période Heian (794-1185) alors que dans son pays d’origine, en Inde, il n’a jamais connu une grande popularité. En effet c’est en Asie Centrale et en Chine, lorsqu’il fut lié à l’élément terre qu’il commença à connaître une grande popularité en tant que protecteur des êtres après la mort.

          Il est généralement représenté sous l’aspect d’un moine bouddhiste au crâne rasé et au visage doux, vêtu d’une longue robe et tenant en main un bâton de pèlerin garni à l’extrémité d’anneaux tintinnabulants qui font fuir les démons. Gardien des voyageurs et donc des chemins, son image est souvent sculpté sur le bord des routes et des sentiers. Protecteur des êtres après la mort, Jizô est surtout considéré comme le protecteur des grossesses inachevées et des enfants morts. On lui donne même parfois le don de « donner des enfants ». Il peut aussi avoir comme attribut un hôshû, la perle qui exauce tous les désirs. On le retrouve aussi souvent assis en méditation sur une fleur de lotus, se confondant alors avec le Bouddha Amida. Il en existe de très nombreux aspects certainement car il est le personnage le plus populaire du panthéon bouddhiste au Japon.

          Une des particularités liées au Bouddhisme au Japon et au culte de Jizô, ce sont ces petites statues de Jizô que l’on trouve un peu partout, dans les temples, les jardins, au bord des chemins, sur les sentiers… Les petites statues de ce personnage sont tellement communes qu’elles sont appelées des jizô. Les jizô font partis de la vie courante au Japon, ils sont souvent petits, en pierre et revêtues d’un bonnet rouge et/ou d’un bavoir rouge (pour le remercier de sauver les enfants). Il est le personnage du panthéon bouddhique que les Japonais considèrent avec le plus de familiarité, car si les Japonais considèrent Kannon comme une figure plus haute et plus prestigieuse, ils éprouvent en revanche à l’égard de Jizô un sentiment plus tendre et plus intime.

          Comme il est le protecteur des êtres après la mort, Jizô est constamment dans les mondes infernaux et souterrains avec lesquels il est très lié, il assiste les défunts comme un avocat et un consolateur lors de leurs passage devant Enma le Roi des Enfers. Enma (Yamarâja en sanskrit) incarne la rigoureuse Loi de rétributions des actes, il n’est ni bon ni mauvais, il est une sorte de juge impartial car tous les êtres de toutes les conditions qui existent doivent en passer par son jugement, ainsi Jizô assiste tous les êtres de toutes les conditions dans leur passage devant Enma. Il assume donc 6 formes (les roku jizô) qui se consacrent respectivement aux 6 sortes d’êtres que reconnaît la cosmologie bouddhique, dieux, hommes, titans, animaux, revenants et êtres des enfers.

Roku jizô au Kitamuki Kannon à Besshô-onsen dans le département de Nagano.
Roku jizô au Takahata Fudôson, à Tama à l’ouest de Tôkyô.
Mur de jizô au Hasé-déra à Kamakura