« L’île nue » 裸の島 (Hadaka no shima)

Rédigé par Christian

裸の島  (Hadaka no shima)
« L’île nue ». Japon. 1960.  Kaneto Shindo
Avec : Taiji Tonayama et Nobuku Otowa (épouse de Kaneto Shindo dans la vie)

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1) KANETO SHINDO (1912-2012)

Kaneto Shindo est originaire de la région d’Okayama et débute au cinéma comme assistant  décorateur à la Shochiku, il devient assistant de Kenji Mizoguchi et scénariste en 1949.

Il fonde sa société Kindai Kyokai Eiga et commence derrière la caméra avec un film traitant des conséquences de la bombe atomique : « Les enfants d’Hiroshima » en 1952.

Cette année là il réalise deux films peu rentables et sa société est au bord de la faillite. « L’île Nue » va en partie la sauver en devenant un succès international.

Kaneto Shindo a écrit plus de 200 scénarios, pour des cinéastes tels que Mizoguchi, Yasuko Masumara, Kon Ichikawa et Mikio Naruse.

Une des caractéristiques importantes de ce cinéaste est sa passion pour le cinéma muet qui est pour lui « le plus expressif ».

Il a beaucoup parlé de la pauvreté, de la guerre, de la bombe atomique, ainsi que des pulsions instinctives de l’humanité : férocité, mais aussi ténacité et tendresse. Enfin il a abordé aussi le sujet très brûlant des « figures féminines » en lutte pour la survie ou pour la famille.

https://www.imdb.com/title/tt0056049/mediaviewer/rm3307126016/?ref_=ext_shr_lnk

2) LE FILM

But du film : Kaneto Shindo a vécu avec ses parents près de la mer intérieure du Japon, entre Honshû, Kyûshû et Shikoku, et il réalise une sorte d’ode à ses parents qui ont été pauvres toute leur vie.

« Je suis né au bord de la mer intérieure de Setonaikai. J’ai vu de mes propres yeux le labeur pénible de mes parents. Le pathétique m’a empoigné. Jusqu’à sa mort ma mère n’a pas dit un mot de ses souffrances. »

D’une part on peut y voir l’origine du film, et d’autre part, comme sa société de production n’a pas d’argent, le film est réalisé avec un petit budget, avec seulement deux vrais acteurs, les autres personnages étant joués par des habitants locaux.

Il va réaliser un film à forte valeur documentaire, avec un travail particulier des acteurs pour reconstituer le portage des seaux, le travail de la terre, le fauchage des blés, la navigation à la godille. C’est le film du geste.

Il choisit une île minuscule, quasi désertique, sans arbre, où tout est en pente… l’île de Sukune en face du port de Mihara.

« Je voulais faire un film très créatif au niveau visuel, raconter l’histoire avec des images, une histoire où chaque vue exprimerait un sentiment de bonheur, de tristesse, dans un décor naturel. »

Il plonge le spectateur dans une atmosphère rurale, désertique, aussi bien dans le sens climatique que dans le sens de l’isolement, avec les peines et les difficultés de la vie de labeur, riche aussi en sentiments.

C’est un drame minimaliste, dont le script tient en trois pages. Le résultat n’est pas ennuyeux, comment est-ce possible ? Avec une histoire aussi simple ?

Les sourires, les regards, les larmes pèsent plus que les mots. Le temps qui s’étire suggère que l’être humain est peu de chose et que rien ne sert de courir…

https://www.imdb.com/title/tt0056049/mediaviewer/rm3290348800/?ref_=ext_shr_lnk

Le film est suspendu au fait qu’il n’y a pas d’eau sur l’île, qu’il faut aller la chercher à terre, en barque, dans des seaux transportés sur les épaules avec des palanches. A tout moment, on dirait que tout va s’effondrer, le bois, l’homme, la femme, les seaux et finalement le bien le plus précieux, l’eau.

L’eau qui, à peine répandue sur la terre si « assoiffée », disparaît en quelques secondes et  la plante ne peut en profiter vraiment.

On est au bord de la survie… On recommence éternellement les mêmes choses, avec peu de succès.

On est pas loin du mythe de Sisyphe.

Beauté, contemplation, en même temps souffrances, efforts, lenteur, langueur. Beauté des paysages filmés en noir et blanc, avec un ciel parfois argenté, presque éblouissant, symbolisant l’aridité. Par moments, tout se confond : mer, île, ciel. La mer est lisse, douce, chatoyante. Et pourtant pour les quatre habitants de l’île cette beauté est source de souffrances.

Le film baigne dans une musique envoûtante, hypnotique, celle de Hikaru Hayashi, soutenant tout cet ensemble dont on ne sait pas s’il va tenir ou craquer.

Les acteurs jouent de véritables scènes, avec de véritables objets dont le poids est bien réel… Le corps de la femme se plie. Les deux acteurs jouent si bien que des journalistes penseront que ce sont des autochtones comme les autres.

Ce film dégage une force cinématographique rare.

Peut-être sommes-nous dans une métaphore, celle du Japon, dans la gestion de son espace, de ses ressources naturelles et de son fonctionnement autarcique d’îliens ancestraux ?

https://www.imdb.com/title/tt0056049/mediaviewer/rm3568228097/?ref_=ext_shr_lnk

(Le DVD du film est à la médiathèque de Prades )