Setsubun 節分

Rédigé par Jérôme

          Peu de gens le savent mais le Japon est un des pays où l’on peut compter le plus de fêtes à l’année, en effet les matsuri, fêtes traditionnelles du folklore nippon, regorgent dans le calendrier au point que si l’on voyage dans le Japon on pourrait facilement trouver une fête par jour. Cela vient bien souvent des anciennes croyances shintô, celles-ci proches de l’animisme peuvent parfois être très localisées (une région, une ville… Ainsi tel arbre, tel cascade, etc. représente ou abrite un kami, un des esprits supérieurs du Shintô). Ces croyances sont le plus souvent liées à la nature, aux rites agraires et aux saisons.

          Chaque matsuri est un moment clé de l’année pour la communauté (que ce soit à l’échelle d’un quartier, d’un village, d’une ville…), c’est un évènement unique que tous les gens préparent, parfois tout au long de l’année. Elles sont toujours l’occasion de joyeuses et exubérantes réunions où toutes les générations participent et s’amusent. Je recommande à toutes personnes visitant le Japon, de voir et de participer au moins une fois à une matsuri.

          Les 2 et 3 février a lieu une grande matsuri puisque celle-ci est à l’échelle nationale. Pour y avoir participé, cette matsuri, moins connu des occidentaux, est pourtant l’une des plus intéressantes et des plus vivantes de l’archipel, elle donne lieu à de multiples cérémonies, processions et festivités pendant deux jours.

          Cette matsuri s’appelle le Setsubun (節分, littéralement « séparation entre les parties »). À l’origine l’année japonaise était divisée en 24 petites saisons et 4 grandes saisons, le terme setsubun était employé pour séparer chaque grande saison,  et il désignait les veilles de chaque nouvelle grande saison (marquant donc une séparation). On pense même qu’il y avait une fête pour chaque séparation et donc 4 setsubun, aujourd’hui le terme setsubun désigne seulement la veille du printemps qui lui est risshun, terme encore employé de nos jours. 

          Cette fête marque donc la fin d’une saison pour en ouvrir une autre au combien importante puisqu’il s’agit du printemps de la nouvelle année lunaire. En effet cette fête venue de Chine à l’époque de Nara (710-794) marque l’arrivée du Nouveau Printemps dans l’ancien calendrier lunaire.

En famille avec les oni du Yoshida-jinja

          La fête du Setsubun  est appelé aussi Oni-harai (littéralement « chasse aux démons ») ou encore Mamémaki (littéralement « lancer de haricots »).  Vous allez voir pourquoi.

          Les sanctuaires shintô ou les temples bouddhistes (qui ont assimilés les anciennes croyances shintô dans un esprit de prosélytisme et de syncrétisme, et les ont peu à peu englobés aux leurs) sont assaillis par des oni (démons ou ogres du folklore japonais) le soir du 2 février. Les oni sont chassés à coup de lancer de haricots porte-bonheur, il s’agit de graines de soja (fukumamé), et à coup de formule rituelle « oni wa soto, fuku wa uchi » (鬼は外、福は内), ce qui veut dire « les démons dehors, le bonheur (la fortune, la chance) dedans »; ainsi on chasse du lieu voulu les démons et les mauvaises choses de l’année précédente et on y fait venir le bonheur en ce nouveau printemps. Il y a aussi de grand feux où l’on brûle des décorations et des objets rituels de l’année passée. C’est un moment d’effervescence incroyable où tout le monde participe. D’ailleurs on fait souvent peur aux plus petits avec les déguisements de oni.

          Chez les gens et dans toutes les maisons aussi on procède à la chasse aux démons et à faire venir le bonheur dans les chaumières. Bien souvent le père se déguise en oni et il joue le rôle du démon en-dehors de la maison, courant sous les fenêtres, essayant de rentrer, pendant que le reste de la famille, resté dans la maison, lui jette des fukumamé dessus en prononçant la formule rituelle. Cette fête est aussi l’occasion de créer et de fabriquer des masques et costumes de oni et de manger un très long maki-sushi, le ehomaki (tradition qui vient du Kansai mais qui s’est popularisée tout récemment à tout le Japon).

          J’ai eu la chance d’aller à Kyôto durant une semaine en février 2011, pile durant le Setsubun. Comme c’était mon troisième passage à Kyôto, j’ai pu me concentrer sur les sites que je n’avais pas encore visité dans cette véritable Rome de l’Asie et sur des sites moins connus des circuits touristiques, mais surtout j’ai pu profiter pleinement des festivités du Setsubun (chasse aux oni, feu purificateur, représentation de kyôgen…), ce fut aussi pour moi l’occasion d’explorer les campagnes et villages qui se situent autour de Kyôto (Ôhara, Kurama, Kifuné…).

Voici maintenant pourquoi il faut venir à Kyôto pendant le Setsubun :

– Yoshida-jinja, le lieu incontournable du Setsubun à Kyôto, voir même du Japon. Procession des oni, chasse aux oni, procession des enfants en costumes avec des sandales en paille et des torches… Foule et ambiance garanties !

– Le Mibu-déra, temple bouddhiste où a lieu des représentations gratuites de mibu-kyôgen, genre théâtral traditionnel basé sur la pantomime et le jeu des masques. Là aussi foule nombreuse, animations, et grands feux purificateurs.

Représentation de mibu-kyôgen au Mibu-déra

– À Ôhara, au Sanzen-in, on a pu assister à la cérémonie rituelle et au jeter de graines de soja par les bonzes, tandis qu’il y avait aussi des stands dans le temple où du riz était pilé pour préparer des mochi qui étaient servis dans un oshiruko (bouillie sucrée de petits haricots rouges azuki servis dans un bol avec des mochi), aux personnes qui visitaient le temple ce jour-là.

– Le Tô-ji, énorme complexe bouddhique, ouvre ses bâtiments les plus anciens au public (seulement 2 ou 3 fois dans l’année),  on peut donc rentrer dans la pagode en bois (57m, la plus haute du Japon) et dans le honden. Dans celui-ci on peut admirer une myriade de statues en bois de Bouddhas et de divinités gardiennes du Bouddhisme, véritable trésor du temple (plus encore que les bâtiments qui ne servent finalement qu’à les abriter, c’est ce que je me suis rendu compte pour la première fois à ce moment là, avant quand je visitais des temples le trésor était pour moi les bâtiments en eux-mêmes). En tout cas je peux vous dire que c’est une vraie merveille, je n’avais jamais été autant impressionné par du statuaire. Malheureusement, et comme bien souvent dans ces cas là, les photos y étaient interdites !

La pagode du Tô-ji, la plus grande du Japon, 57m

– Venir à Kyôto au moment du Setsubun, c’est aussi la garantie de pouvoir visiter de nombreux temples et sanctuaires sans avoir une foule de touristes, en effet à cette période de l’année peu de gens sont en vacances et les seuls temples où vous rencontrerez beaucoup de monde sont ceux où un évènement lié à la matsuri a lieu (comme au Yoshida-jinja ou au Mibu-déra, et donc plus particulièrement le soir). Ce fut donc pour nous l’occasion de visiter le Daigô-ji, le Tô-ji, le Kamigamo-jinja, le Shimogamo-jinja (tous les 4 inscrit au Patrimoine mondial de l’humanité) l’Eikan-dô, le Hônen-in, l’Otagi Nembustsu-ji et bien d’autres lieux connus et moins connus de Kyôto en étant seuls ou presque.

– Enfin venir à Kyôto début février c’est aussi l’occasion, si on a un peu de chance avec la météo, de voir quelques temples et jardins célèbres avec de la neige.