Des films de samurai pas comme les autres

Rédigé par Jérôme

        Je vais présenter ici trois films qui me tiennent à cœur car pour moi ils ont changé l’image du samurai qu’avait véhiculé jusqu’à présent la télé ou le cinéma, cette image du samurai, guerrier impitoyable et sans peur qui tire son sabre à tout bout de champ; cela dit j’aime les chambara eiga, ces films de sabres japonais classiques où le sang et les combats prédominent, c’est juste que je voulais montrer que l’image du samurai est souvent quelque peu faussée dans l’imaginaire des gens. Ces trois films nous montrent donc l’image d’un samurai que nous n’avons pas l’habitude de voir, une image peut-être plus proche de la réalité.

        Ces trois films sont aussi des films beaucoup plus réalistes sur le plan historique, dans les détails, les costumes, les scènes de combat (qui sont peu nombreuses à la différence des chambara eiga), le contexte social…

– « Après la pluie » (« Ame agaru« ), 1998, œuvre posthume de Akira Kurosawa (le scénario, la mise en scène et les dialogues sont de lui d’après une nouvelle de Shugoro Yamamoto) réalisé par Takashi Koizumi, avec Akira Terao, Yoshiko Miyazaki, Shiro Mifune…

        Ce film brille par son réalisme tant au niveau des décors, des costumes que de l’atmosphère qui se dégage. Il se déroule à l’époque d’Edo au 17ème siècle, alors qu’une pluie tombe durant plusieurs jours, un samurai sans maître, ou rônin, se met à l’abri avec sa femme dans une auberge où ils rencontrent pleins de gens du peuple, ceux-ci sont pauvres mais tellement plein de vie, le samurai et sa femme sont touchés devant la vie simple mais heureuse de ces gens alors qu’eux se sentent prisonniers de leur condition et de leur devoir (la scène du repas offert par le samurai dans l’auberge est absolument géniale)

        Le samurai qui est donc rônin (sans seigneur) essaye de vendre son sabre mais sa femme ne veut plus qu’il l’utilise dans des combats primés, aussi lorsqu’un seigneur se manifeste pour le prendre comme maître d’armes (instructeur) après l’avoir vu dans le feu de l’action celle-ci se réjouie qu’il retrouve un poste à la hauteur de son talent. 

        Certains ont critiqué ce film disant qu’il ne ressemblait pas à ce que faisait Kurosawa car il ne l’avait pas réalisé mais je pense sincèrement que ces critiques n’ont pas bien vu l’œuvre de Kurosawa dans son intégralité, les films de Kurosawa de la fin de sa vie ne ressemblent en aucunement aux films du début de sa carrière et en particulier ses films de samurai (« Kagemusha » et « Ran » qui sont pour moi des drames historiques ne ressemblent pas à ses premiers films de samurai, tel le mythique « Les sept samurai« , qui ont inspiré les westerns américains et les westerns «spaghettis» italiens), on peut aisément imaginer que le scénario de « Après la pluie » écrit à la fin de sa vie soit encore situé dans une autre période, en effet ces premiers films de samurai datent des années 50, « Kagemusha » et « Ran » du début des années 80 (ces deux films étaient des véritables fresques historiques qu’il avait toujours voulu réaliser mais il n’en avait jamais eu les moyens, il a pu les réaliser plus tard grâce à des financements étrangers) et l’écriture du scénario de « Après la pluie » date de la fin des années 90 (celui-ci revient sur une histoire de samurai comme il aurait pu en faire au début de sa carrière mais avec une vision beaucoup plus réaliste des choses, c’est une histoire très simple qui donne un film à l’atmosphère intimiste.

        On pourrait donc dire que Kurosawa avait opéré un virage dans ses films vers la fin de sa vie ou n’était-ce pas plutôt tout simplement l’évolution de sa vision du monde. En prenant à contre-pied ces critiques je n’hésiterai pas à dire que pour moi ce film respire Kurosawa, le grand Kurosawa, ce maître génial du 7ème art qui a inspiré tous les plus grands réalisateurs du monde, dont eux-mêmes en font l’éloge comme du plus grand réalisateur de ce siècle et dont nombres de ses films ont connu des remake (pour la plupart «westernisés» à l’américaine) sans que parfois personne ne le sache.

        Précisons aussi que le réalisateur Takashi Koizumi était l’assistant réalisateur de Kurosawa, alors je me permets de rajouter cette question pour conclure : qui donc mieux que lui pouvait réaliser fidèlement le dernier scénario de Kurosawa ?

        Pour les deux films suivants : ils ont été réalisé par le même cinéaste Yôji Yamada qui prépare une trilogie sur les samurai, en adaptant trois nouvelles historiques de l’écrivain Shuhei Fujisawa. Ici sont présentés les deux premiers volets, le troisième intitulé « L’âme du samurai » (« Bushi no ichibun« ) est sorti en 2006 au Japon mais je n’ai pas eu le plaisir de le voir encore.

– « La servante et le samurai », (« kakushi-ken : oni no tsume« ), 2004, de Yôji Yamada  adapté d’une nouvelle de Shuhei Fujisawa, avec Masatoshi Nagase, Takako Matsu, Hidetaka Yoshioka…

        Un samurai est condamné à se faire seppuku (ou autrement dit le fameux « hara-kiri » littéralement « ventre coupé ») alors qu’il est innocent car pour les samurai, être innocent ne veut rien dire, il faut seulement obéir à son seigneur. C’est là le devoir de tout samurai envers son seigneur.

        La famille de ce samurai se trouve donc démunie, puisque rabaissée à un rang inférieur dans la hiérarchie des samurai, elle fait toujours partie de cette classe car le fils est toujours un samurai du clan mais elle devient pauvre et mal vue. La veuve engage alors une servante qui va prendre une place grandissante dans ce qui reste de la famille, la veuve va lui apprendre notamment comment être une bonne épouse pour un jour la marier. La famille vit de plus en plus pauvrement et un beau jour la mère meurt à son tour. Le fils devient le maître et la servante en vient à s’occuper de toute la maison, pourtant depuis le premier jour le fils est amoureux de cette servante jeune, jolie et douée mais  c’est amour est impossible car ils ne sont pas de la même classe sociale.

        Autour de cette histoire d’amour on peut voir tout le problème des classes sociales au Japon durant l’époque d’Edo. En effet à cette époque de paix, la société avait été clairement et distinctement divisée en 4 classes sociales. Dans l’ordre d’importance : en premier venaient bien sûr les bushi ou samurai qui dirigeaient et avaient plus ou moins tous les droits envers les autres classes, puis ensuite les paysans, les artisans et les marchands, ces classes ne communiquaient pas en être elle, il était théoriquement impossible de passer de l’une à l’autre. Dans ce film ressort aussi tout cet univers des samurai figé depuis deux siècles car l’histoire se passe à la fin d’Edo, vers le milieu du 19ème siècle, le Japon et la classe des samurai qui le dirigent, se rouvrent peu à peu au monde sous la pression des étrangers et voient le retard qu’ils ont accumulé durant ces deux siècles et demi où le pays est resté fermé, retard dans ce qu’ils considéraient être comme la chose qu’ils savaient le mieux faire (la guerre), d’où leur sentiment d’inutilité puisqu’ils n’étaient même plus capables de faire la seule chose pour laquelle leur classe dominait les autres. Dans le film les scènes d’entraînement à l’artillerie à la façon européenne sont très drôles, et on voit des samurai perdus et déboussolés devant ces techniques qui nous semblent tout aussi ridicules à nous aussi.

        Derrière cette simple histoire d’amour à la japonaise, faite de non dits et de sentiments cachés et réfrénés, se cache une toute autre histoire liée aux événements de cette époque trouble du Japon. Une histoire de complots, d’amitié, de techniques secrètes de katana,et dans ce cas là le seigneur sera bien obligé d’utiliser notre samurai qui est son meilleur sabreur malgré qu’il soit marginalisé par le reste du clan (il est le meilleur sabreur mais pourtant il n’a jamais utilisé son arme contre quelqu’un car sortir son sabre implique forcément la mort de quelqu’un)

        La morale de la fin du film est forte et remet en cause l’idée du devoir absolu que le samurai devait fournir à son seigneur et que le père mort alors qu’il était innocent avait transmis à son fils. Celui-ci n’avait jamais admis cette idée, cette mort inutile, ce gâchis. En effet il était dans l’idée de cette époque que le samurai puisse se retourner contre son propre seigneur si celui ne respectait plus les devoirs que lui incombaient son statut, s’il ne semblait plus respecter la fameuse « voie du samurai« .

– « Le samurai du crépuscule« , (« tasogare seibei« ), 2003 au Japon et 2006 en France, de Yôji Yamada, adapté d’une nouvelle de Shuhei Fujisawa, avec Hiroyuki Sanada, Rie Miyazawa, Nenji Kobayashi, Min Tanaka…

        Ici le héros est toujours un samurai, et donc en cela administrateur aussi, puisque les samurai de l’époque d’Edo vivant en paix s’étaient mués en une classe lettrée d’administrateurs, c’est une des facettes historiques intéressantes de ce film et qui est souvent méconnue, on peut ainsi voir le samurai travailler comme un véritable fonctionnaire avec des heures fixes et des travaux administratifs, le mythe du guerrier qui passe sont temps sur les champs de bataille est ainsi cassé et on se rapproche vraiment de la réalité.

        Ce samurai est veuf avec deux enfants et sa vieille mère à s’occuper, lui aussi se marginalise de sa condition depuis que sa femme est morte, il devient aussi de plus en plus pauvre et a bien du mal à s’occuper de tout tout seul, il est pourtant le meilleur sabreur de son clan mais les autres le considèrent un peu comme un sauvage car il ne se

joint que rarement à eux à la sortie du travail, il le surnomme « Crépuscule » car il rentre toujours avant le soir.

        Une amie d’enfance (amour de jeunesse plutôt) qui vient de divorcer d’un mari brutal et alcoolique refait irruption à ce moment là et vient parfois l’aider, elle est d’une famille de samurai beaucoup plus aisée mais elle aime cette vie simple qu’il mène et adore s’occuper de ces enfants, elle aime aussi se joindre au bas peuple lors des matsuri (fêtes traditionnelles, bien souvent paysannes, auxquelles les samurai n’ont pas le droit de se mêler), elle l’aime aussi et elle est triste pour lui, elle a le secret espoir qu’il veuille se remarier avec elle mais lui se considère comme bien trop pauvre par rapport à elle et de ce fait il ne veut pas la rendre malheureuse.

        Encore une fois une histoire d’amour faite de non dits, de sentiments nobles mais enfouies car au Japon le conflit entre le giri (toutes les formes de devoir qui existent au Japon : envers sa famille, son seigneur… et aujourd’hui envers son travail, envers le pays…) et le ninjo (ce que l’on pourrait traduire par les sentiments personnels) n’est jamais loin.

        Le héros de ce film, samurai sans aucune ambition sinon de vivre tranquillement avec ses enfants comme un paysan, cache son talent au maniement du katana au reste du clan mais il est découvert lors d’une rixe avec l’ancien mari de son amie d’enfance ce qui va l’entraîner dans des complications car le clan faible cherche des hommes talentueux pour régler une histoire.

        Ce film se passe encore à la fin d’Edo, au 19ème siècle, dans cette époque propice à diverses trames, dans cette époque de déclin de cette classe guerrière qui en voulant se sauver ne fera que précipiter plus en avant sa fin. C’est aussi une époque où la voie du samurai tendait à changer, le devoir envers un seigneur tendait à s’estomper vers une autre forme de devoir, plus personnelle et plus juste et l’idée de classe sociale elle-même comme dans le film précédent est remise en cause avec juste raison.  

Pour conclure :

        Ces trois films ont ce point commun : leurs personnages principaux doutent, ils doutent du bien fondé de leur classe guerrière et ont tendance à se marginaliser de celle-ci. Ce sont des samurai qui s’interrogent sur leur condition, sur leur temps, sur leur vie et sur leur vrai devoir vis à vis de leurs proches, vis à vis des autres et de la société qui les entoure mais surtout vis à vis d’eux mêmes. Ils vivent dans la misère, sont sans ambition tout en étant talentueux, ils aimeraient pouvoir vivre simplement comme des paysans mais ils sont constamment rattrapés par leur passé et leur devoir.

        Autre point commun : les quelques scènes de combats sont très bien filmés, les combats ne s’éternisent pas, ils sont en cela plus proches de la réalité que les combats des films de sabres qui durent parfois plus de 15 minutes. Dans le véritable combat au katana si bien affûté des samurai, un seul coup suffit et la mort arrive si vite qu’on ne la voit pas venir. On voit aussi un samurai doué mais qui jusqu’à présent n’a sorti son arme que pour la nettoyer, l’utilisation des armes en bois, beaucoup plus fréquentes qu’on ne le pense (et qui pouvait tout aussi bien tuer)…

        Par contre contrairement au rônin de « Après la pluie » les anti-héros de Yôji Yamada, tout talentueux qu’ils sont, ont peur de tirer leur sabre, ils savent ce que cela implique, qu’une vie va mourir et que cela pourrait bien être la leur, d’où leur répugnance, voir même leur peur de tirer cette arme, car il n’y a pas de chemin de retour une fois cette action engagée.

        Il y a bien sûr un fond de bushidô dans ces trois films, mais attention car pour tous ceux qui croient que le bushidô (littéralement « voie du guerrier ») est une technique de combat ou une stratégie guerrière, et l’erreur est commune, non cette voie là est bien autre chose, elle est un devoir qui confine le personnage qui la suit jour après jour d’être entièrement conscient de ses actes, ainsi on ne peut plus se mentir à soi-même et c’est ce qui est le plus important. C’est une façon de vivre qui demande une attention constante à tout ce que l’on fait et dit. C’est ce qui fait que certains samurai ne pourront plus vivre dans l’hypocrisie de leur classe et préféreront renier celle-ci.