Hirokazu Kore-eda

Rédigé par Jérôme

Plutôt que de parler d’un film en particulier je vais parler d’un réalisateur japonais, Hirokazu Kore-eda. J’ai apprécié plusieurs de ses films durant ces dernières années, tout d’abord pour leur simplicité, des films sans artifices avec des histoires qui pourraient très bien se passer chez nous, au coin de notre rue, mais qui dans les films de ce réalisateur nous immerge quand même totalement dans le quotidien japonais, un quotidien tout de même bien différent du notre. J’aime aussi ses films pour sa façon de filmer les acteurs, sa façon de les utiliser et réutiliser avec justesse, d’ailleurs ceux-ci, sous sa caméra se transcendent véritablement.

          Le réalisateur Hirokazu Kore-eda fait partie de cette nouvelle vague de réalisateurs japonais qui filment du cinéma de fiction de façon quasi documentaire pour essayer de s’approcher au plus près de la réalité. Kore-eda est notamment réputé pour son approche novatrice et non spectaculaire. Des familles dans leur quotidien ou encore des films basés sur des faits divers réalisés avec peu de moyen et peu d’artifice, tout cela caractérise son cinéma tout comme évidemment la justesse des acteurs. En effet ce qui ressort le plus des films de Kore-eda c’est cette façon de filmer les acteurs de manière presque familiale je dirais, et qu’ils soient des enfants, des anciennes stars de la musique ou des acteurs confirmés ou pas, tous jouent très juste et d’une manière très naturelle. 

          Parlons maintenant un peu de ces films, du moins de ce que j’ai vu puisque je n’aborderai pas les films que je n’ai pas vu :

– « Nobody Knows » (誰も知らない, Dare mo shiranai) en 2004. Ce film est inspiré d’un fait divers, il raconte le quotidien de quatre enfants livrés à eux-mêmes car leur mère les abandonne. La maman célibataire et volage n’a jamais scolarisé ses enfants car ils sont tous de pères différents. Ils restaient donc chez eux dans un appartement, ne sortant quasiment jamais sauf le plus grand qui était le seul en avoir le droit (car le seul qui existe légalement, elle cachait l’existence des 3 autres). Il s’agit d’un film assez dur qui nous montre tout le poids du regard des autres et de la honte dans la société japonaise mais aussi toute l’étendue du mal être qui règne dans nos grandes sociétés urbaines car on est en droit de se demander comment une situation a-t-elle-pu arriver sans que personne ne s’en rende compte jusqu’à devenir ce fait divers qui défraya la chronique. L’acteur qui joue le rôle du plus grand, Yûya Yagira 14 ans, est le plus jeune acteur a recevoir le prix d’interprétation masculine à Cannes.

– « Still walking » (歩いても 歩いても, Aruitemo aruitemo) en 2009, est un film sur le thème du deuil dans une famille japonaise. Il aborde un thème assez grave mais d’une manière très légère. Le film se concentre sur les non-dits familiaux qui ressortent à cette occasion.

– Toujours en 2009, il réalise un ovni, « Air Doll » (空気人形, Kūki Ningyō) où il raconte comment une poupée sexuelle en plastique découvre le monde. Ce film est basé sur le manga, « The pneumatic figure of a girl » de Yoshiie Gôda.

Après ce film Kore-eda va arpenter de nouvelles formes et vivre de nouvelles expériences en s’essayant à la télévision et au clip vidéo.

– Puis en 2011 vient « I wish, nos vœux secrets » (奇跡, Kiseki) où de nouveau des enfants sont les principaux protagonistes. Le film raconte l’histoire de deux enfants, deux frères, dont les parents ont divorcé. L’aîné vit avec la mère au sud de Kyûshû, à Kagoshima, et le plus jeune vit avec le père guitariste au nord de Kyûshû. Les deux enfants, du moins surtout l’un des deux, l’aîné, rêve de retrouver son frère et de reconstituer la famille. Une nouvelle ligne Shinkansen (le TGV japonais) s’ouvre justement à ce moment là, reliant Kagoshima dans le sud de Kyûshû aux villes du nord de Kyûshû. Une opportunité de se retrouver ?

Koichi et Ryunosuke, les deux frères du film, sont également frères dans la vie ! Ils sont joués par le duo d’acteurs professionnels Koki et Ohshirô Maeda. Après les avoir vus aussi à l’aise en audition, Kore-eda décida de revoir son scénario, et il inventa cette histoire de frères séparés par le divorce de leurs parents. L’aîné, un peu maladroit, exprime presque malgré lui une solitude émouvante. Le plus jeune est beaucoup plus espiègle et dynamique.

Le titre original du film, « Kiseki », signifie « miracle » en japonais. Un titre qui est venu naturellement au réalisateur lorsqu’il a fallu raconter cette histoire. D’après lui, les enfants, leur façon de vivre et d’entreprendre leur voyage, tout cela tenait vraiment du miracle.

Tel père, tel fils » (そして父になる, Soshite chichi ni naru), primé à Cannes en 2016, où des enfants sont inversés à l’hôpital au moment de la naissance. L’hôpital va s’en rendre compte mais seulement 6 ans plus tard; ils préviennent alors les parents respectifs qui sont deux familles issues de milieux complètement différents et donc le choix va se faire pour les parents concernés de garder leurs enfants ou de se les échanger. Excellent film ou encore une fois ce sont les enfants qui sont au centre de l’histoire même si les acteurs adultes sont vraiment au diapason dans ce film. On voit donc qu’il aime beaucoup, et avec justesse d’ailleurs, filmer les enfants, cela s’accorde finalement complètement à sa façon de filmer qui privilégie le naturel pour exprimer au mieux la réalité.

– En 2015, mon préféré avec « I wish », « Notre petite sœur » (海街diary, Umimachi Diary), et là ce sont plutôt des jeunes femmes qui sont mises à l’honneur. Le scénario est adapté d’une série manga, « Kamakura Diary » de Akimi Yoshida, il s’agit d’un manga josei, c’est à dire un manga qui s’adresse plutôt aux femmes. Trois sœurs d’une vingtaine d’années vivent ensemble à Kamakura (une ville balnéaire qui fut une ancienne capitale du Japon et qui est proche de Tôkyô). À la mort de leur père elle décide de recueillir dans leur maison leur demie sœur de 14 ans. Le film a été un succès au Japon et a rapporté de nombreux prix. 

– « The third murder» (三度目の殺人, Sandome no satsujin) de 2017 sort un peu des schémas habituels du réalisateur qui livre ici une réflexion sur la justice et sur la culpabilité. Pas de jeunes enfants dans la distribution de ce film mais la réflexion posée est sans doute plus profonde et les acteurs sont toujours au rendez-vous.

– Palme d’or à Cannes en 2018, « Une affaire de famille » (万引き家族, Manbiki kazoku, ce qui signifie littéralement « la famille des vols à l’étalage »). Malgré cette récompense il ne s’agit pas pour moi du meilleur film de Kore-eda mais on peut dire qu’il s’inscrit directement dans la continuité de sa filmographie, l’histoire d’une famille pauvre et marginale dans le Japon d’aujourd’hui avec toujours une belle ribambelle d’acteurs, enfants et adultes compris.

          Après avoir filmé des enfants dans ses films « Nobody knows » et « Still Walking » Hirokazu Kore-eda explique dans une interview la fascination qu’il a à filmer les enfants et leurs aventures: « J’aime la façon dont ils sont incomplets et leur présence est instable. Filmer des enfants me fait vraiment réfléchir. Peut-être est-ce parce que je suis père maintenant, mais tous les adultes dans « I Wish nos voeux secrets » sont des adultes auxquels je souhaite ressembler, je veux être un adulte qui attend ses enfants au retour de leurs aventures, sans en faire toute une histoire.« 

          Sept de ses films ont déjà été sélectionnés au Festival de Cannes : « Distance » en 2001 (en compétition officielle), « Nobody knows » en 2004 (en compétition officielle), « Air Doll »  en 2009 (dans la section Un certain regard),  « Tel père, tel fils » en 2013 (en compétition officielle et qui a obtenu le Prix du Jury), « Notre petite sœur » en 2015 (en compétition officielle), « Après la tempête » en 2016 (à Un certain regard) et enfin « Une affaire de famille » en 2018 avec lequel il obtient la Palme d’or.

          On pourrait rajouter que ces films entretiennent toujours la joie, le rire et parfois une certaine tristesse en même temps, une douceur presque mélancolique (que l’on ressent peut-être moins dans « I wish »). On y retrouve aussi parfois une certaine forme de violence et un sentiment « glauque » de malaise comme dans « Nobody knows » ou dans « Une affaire de famille ». Je voulais d’ailleurs dire que ces émotions contradictoires je les retrouve souvent dans le cinéma japonais mais aussi dans la littérature japonaise et notamment dans les œuvres de Murakami Haruki.

Pour sa filmographie complète :

  • « Maborosi » (幻の光, Maboroshi no hikari), 1995
  • « After Life » (ワンダフルライフ, Wandafuru raifu, Wonderful life), 1998
  • « Distance » (ディスタンス, Disutansu), 2001
  • « Hana » (花よりもなほ, Hana yori mo naho), 2006
  • « Après la tempête » (海よりもまだ深く, Umi yori mo mada fukaku), 2016
  • « La vérité » (真実, Shinjitsu), 2019, premier film de Kore-eda tourné hors du Japon, et avec une distribution principalement francophone (Catherine Deneuve, Juliette Binoche, Ludivine Sagnier…)